La presse en parle...


Article de Philippe Martinet après la représentation du 8 juin
En voici le texte dans un format plus lisible

La mort apprivoisée

Dans Stabat Mater I, on voit des mères venir reconnaître le corps de leur fille qui se sont noyées dans des écluses. A chacune sa manière d'accepter ou de rejeter cette terrible réalité


Jamais facile d'évoquer la mort et d'en faire le thème principal d'une pièce de théâtre. Parce qu'il y a un mystère qui entoure cette réalité incontournable de la vie. Et c'est en plus un sujet tabou dont on ne veut pas parler car il nous détourne de l'agitation fébrile de nos existences et du désir insensé de rester éternellement jeunes. Avec Stabat Mater I de Normand Chaurette. le Théâtre du Nuage Distrait nous entraîne donc sur le chemin qui mène à la mort, que, nous spectateurs, nous suivons avec quelque réticence. Il faut nous convaincre que nous ne serons pas pris dans un piège où le pathos fonctionnerait trop bien, nous anesthésiant et nous privant d'une distance nécessaire à un jugement critique. La pièce que Jean-Marie Lardeau a choisi de monter présente un grand danger qui s'appelle sensiblerie : des mères viennent, dans une chapelle ardente, reconnaître les corps de leurs filles qui se sont noyées dans des écluses. Chacune réagit avec son tempérament, certaines jouent la fausse décontraction, d'autres se réfugient dans les souvenirs heureux, d'autres aussi ne veulent pas voir la vérité en face, et refusent de penser que leur fille peut être morte. Ces mères sont émouvantes dans la façon maladroite qu'elles ont d'accepter ou de refuser cette vérité douloureuse : la disparition d'un être cher. Mais jamais on ne tombe dans un pathos qui serait la solution de facilité pour prendre le spectateur dans une toile d'araignée d'où il ne pourrait s'échapper. Le quotidien ne perd jamais ses droits et ces mères, jouées par des comédiennes qui, avec talent, restent très naturelles, nous émeuvent par leur personnalité jamais bousculée par l'événement tragique qu'elles connaissent. Elles sont agaçantes. drôles. charmantes. sottes, comme elles peuvent l'être dans la vie de tous les jours. La mort est seulement un élément dérangeant qui les oblige à être en léger décalage avec ce qu'elles sont d'habitude. La mise en scène de Jean-Marie Lardeau va à fond dans ce sens, nous présentant des femmes qui ont du mal à entrer dans le moule de mères inconsolables que leur tend la Camarde : voiles noirs, mouchoirs, larmes et révolte coléreuse contre la mort... La vie plus forte que tout. Et la présence de Coccinelle, clown de BD égaré dans cet univers sombre et du préposé qui fait signer les mères quand elles ont reconnu leur fille, contribue aussi à apprivoiser une mort qui ne parvient plus à taire peur...

Philippe MARTINET